Alyttérature - Interview par Alycia Bouëdron, le 9 septembre 2018
Posté le 03/05/2019
Interviews
Discussion avec Edouard B. W.
alytterature
Salut les amis !
Il y a tout juste un an, je lançais le rendez-vous du dimanche sur le blog. Après vous avoir présenté vingt-six auteurs, j’ai décidé de faire une petite pause. Cependant, cela me manquait de pouvoir discuter avec celles et ceux qui nous font voyager et rêver avec leurs écrits, alors c’est officiel, les interviews reprennent du service sur Alyttérature !
Pour l’article d’aujourd’hui, j’ai eu le plaisir de poser quelques questions à Edouard B. W., l’auteur de deux recueils de nouvelles, réunis en un seul et même livre, Entropiae. C’est un titre qui vous parle ? C’est bien normal, puisque je l’ai chroniqué il y a quelques semaines (lien de la chronique). Si jamais votre mémoire vous fait défaut, voici le synopsis :
« Ce livre regroupe les deux premiers recueils de nouvelles, Recueil n. 1 – Pour celles et ceux qui ne veulent pas dormir et Aux origines – Une vérité sur les origines de l’homme et son futur, plus une petite histoire « bonus » pour clôturer le tout en chanson.
Recueil n. 1 vous emmènera au travers de trois nouvelles dans des jeux d’émotions troublants et dérangeants pourvu que vous soyez de nature puritaine, alors que ce n’est que l’histoire de la vie ! Vibrez avec ce couple vivant une histoire d’amour impossible, accompagnez ces deux amis improbables qui se promènent inlassablement autour du même pâté de maisons, et vivez le réveil difficile d’un étudiant après une banale soirée très imbibée. Rien de plus banal, n’est-ce pas ? Effectivement, mais…
Aux origines parle de l’éveil de la conscience de l’Homme. Il est grand temps qu’il découvre ses origines… et son futur. Ces nouvelles agrémentées de courts textes sombres et poétiques sont une critique sans pitié de la société que nous avons créée, de notre légitimité sur cette Terre et de notre prise de conscience ô combien tardive de ce que nous ne sommes pas, ni n’avons jamais été. Enfin, très humblement, je vous proposerai une solution pour préserver notre bonne vieille planète grâce aux nouvelles technologies, car il fallait bien terminer sur une note positive !
Bonus, puisque ce livre est une sorte de compilation, il fallait un bonus ! Ce texte presque autobiographique raconte le débordement d’amour d’un père et de sa fille, suite à leurs retrouvailles après un long mois de vacances. »
Entropiae est un livre qui regroupe deux recueils de nouvelles et une histoire bonus. Qu’est-ce qui vous plaît dans le format court ?
Il y a deux choses qui m’intéressent dans ce format. Tout d’abord, le fait que l’on ait la possibilité de capturer la lectrice ou le lecteur du début à la fin. Avec un roman ou une nouvelle « au format long », le niveau de concentration n’est pas le même, il y a des jours de fatigue, des SMS qui arrivent en pleine lecture – auxquels la lectrice ou le lecteur vont répondre !!! (rires) – or je pense que chaque mot est important, chaque formulation est cruciale. Cela permet également, pour l’auteur.e, d’être davantage constant.e dans l’écriture, il n’y a pas de remplissage pour maintenir l’équilibre d’un texte. Le but, pour moi en tout cas, est de captiver du début à la fin d’une histoire.
La seconde chose qui m’intéresse, c’est que j’ai écrit ces histoires dans une période de ma vie encore surchargée, je ne pouvais y consacrer que quelques heures de mon temps, la nuit, et parfois rien pendant plusieurs mois. Ce format plus court facilite le suivi des histoires, il m’était plus facile de me « remettre dans le bain ».
Sans vouloir coller d’étiquettes à vos nouvelles, nous pouvons tout de même parler de dystopie, de fantastique et parfois même d’horreur pour les qualifier. Aimeriez-vous essayer d’autres genres littéraires, à l’opposé de ces derniers ?
Des styles littéraires à l’opposé… C’est une question difficile pour moi. Disons que j’ai écrit des sous-genres qui sont plutôt orientés contes philosophiques, huis-clos, uchronie… Mais j’ai peur que cela ne réponde pas à votre question !
J’ai songé à un recueil de poèmes, c’est quelque chose que je ferai un jour, je le sais. J’ai d’ailleurs une idée très précise du résultat que je souhaite obtenir. J’ai également commencé – et bien avancé – une sorte de journal avec d’autres auteurs, dans un style que je tairai pour le moment.
Je me laisserais volontiers tenter par des histoires d’aventures mais pas de fantastique – au sens Donjons & Dragons, ni combats entre les forces du bien et du mal – encore moins sur la religion, l’ésotérisme ou la romance. Il m’est arrivé de lire une ou deux romances de qualité, mais les codes ne me conviennent absolument pas, ma relation à l’humain est totalement incompatible. Le genre « feelgood » a tendance à m’agacer également car, des trois ou quatre expériences que j’ai pu avoir dans ce genre, je trouve les sujets trop légers, tout comme le langage… Un peu comme ces tweets du genre « Ce matin, comme tous les jours, je me suis levé, brossé les dents, et le soir j’ai retrouvé ma crème contre les hémorroïdes dans le verre à dents ». Tout le monde s’en fiche mais cela génère des milliers de « likes » et idem en « retweets ». J’ai encore deux ou trois livres de ce genre dans ma liste de « prêt à lire ». Revenez vers moi dans deux mois, j’aurai peut-être un avis beaucoup plus positif à donner (rires).
Dans Recueil n°1 – Pour celles et ceux qui ne veulent pas dormir, vous jouez avec le lecteur par le biais d’interventions dans la narration ou de notes de bas de page. Comment vous est venue cette idée plutôt singulière ?
J’ai eu plusieurs commentaires positifs sur ce système de narration. Ce fut une bonne surprise pour moi. Dans ce premier recueil, je cherchais à atteindre un certain niveau de connivence avec la lectrice ou le lecteur, et pour dialoguer en aparté, les notes de bas de page me semblaient le plus approprié. Pour « La balade du soir », j’ai pensé à intégrer ces interventions dans le texte même pour que la lecture soit plus fluide afin de ne pas entraîner de déconcentration en cherchant une note ou l’autre. Ces inserts étaient indispensables pour comprendre l’histoire car elle n’est racontée que du point de vue de deux personnes qui regardent des enregistrements vidéo sur un écran. Voyant mal les interlocuteurs commenter chaque détail de ce qu’ils avaient sous les yeux, ce qui n’aurait pas fait naturel du tout, il m’a fallu ajouter des explications, un peu comme dans un scénario. J’avais en revanche trouvé amusant de fournir un petit mode d’emploi sur la façon de lire ces notes, qui sont de plusieurs natures.
Les avis que vous recevez à propos du Recueil n°1 sont soit élogieux, soit négatifs. Comment vous sentez-vous face à ces commentaires ?
Je les prends très bien, bien entendu (rires) ! Je n’ai pas eu de commentaire négatif sur la qualité de l’écriture, bien au contraire, et c’est le plus important pour moi.
Que les avis aient été positifs ou négatifs, l’objectif recherché dans Recueil n°1 est atteint dans cent pour cent des cas : soit les lecteurs ont adoré ce qu’ils ont ressenti pendant la lecture, soit ils n’ont pas aimé ce que cela a provoqué en eux – je viens de vérifier, les avis négatifs représentent trois personnes sur vingt-quatre.
La seconde chose la plus importante pour moi, dans ce recueil, est que les histoires ont provoqué des émotions à la lecture. Que ces émotions soient plaisantes ou pas, cela dépend des gens.
J’ai même un service presse d’une lectrice qui n’a pas pu finir le livre, encore une fois non pas à cause de l’écriture, mais des émotions provoquées chez elle. Et le fait qu’elle ait précisé qu’elle était pourtant une habituée des histoires fantastiques constitue pour moi une petite victoire personnelle. Elle m’a tout de même gratifié d’un seize sur vingt pour, explique-t-elle, la qualité et la précision de l’écriture et pour le fait d’avoir été transportée par les textes.
J’ai eu également des retours de lecteurs qui n’étaient pas habitués à ce style mais qui ont adoré ce que cela a provoqué chez eux.
Je n’ai pas parlé des retours très positifs, ils viennent en général de personnes qui aiment se sentir vivantes en ressentant des frissons ou une forme de malaise – je les cite – celles qui, comme moi, pensent que les monstruosités sont dans la vraie vie et non dans une histoire avec des mages ou des démons.
Dans Aux Origines, vous évoquez le passé et le futur de l’Homme. Les thèmes sont sérieux et graves, pourtant c’est avec humour que vous les abordez. Pourquoi avoir choisi ce point de vue ?
Je n’ai pas spécialement cherché à être humoristique, cela s’est un peu imposé tout seul, sans doute est-ce le format du conte philosophique auquel j’ai à tout le moins tenté de me conformer qui a entraîné un ton un peu plus léger dans la façon de les raconter. Je pense que le catastrophisme n’est pas quelque chose de perçu par l’humain. C’est un peu ce que j’expliquais à votre question précédente au sujet du frisson : quand c’est trop gros, le cerveau se protège et prend de la hauteur. Lorsque le sujet est plus réaliste, en revanche, il adhère davantage au message. Il est compliqué de parler de la fin d’une espèce lorsque l’on est assis dans son canapé avec un livre à la main et en sirotant un Mojito.
Les sujets que vous traitez dans Aux Origines sont différents d’une nouvelle à une autre, mais on retrouve un fil rouge : celui de faire réfléchir le lecteur sur l’avenir de l’Homme, en revenant sur les nombreuses évolutions que l’humanité a connues. Est-ce le thème du recueil qui s’est imposé à vous en premier ou est-ce après avoir écrit vos nouvelles que vous avez trouvé leur point commun ?
Effectivement, après avoir écrit les histoires, et principalement pendant ma dernière phase de relecture de l’ensemble, je me suis aperçu de ce fil conducteur. C’est ce qui a donné le titre de ce recueil : Aux Origines, car aussi bien dans l’histoire « Malade de la vie » que dans « Les robots sont nos cousins », le sujet parle d’un commencement.
C’est également ce qui a donné le titre de mon troisième ouvrage, Entropiae, pour souligner à quel point le semblant de chaos vers lequel nous nous dirigeons n’est pas si aléatoire que cela, mais bel et bien déterminé par nos agissements.
Au fil des pages d’Entropiae, on en apprend un peu plus sur votre processus d’écriture, notamment grâce aux dates que vous indiquez au début ou à la fin de vos textes, mais aussi par l’intermédiaire des préfaces et postface. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport à l’écriture, comment vous avez appréhendé cette période de création ?
Voici le genre de question que je ne comprends pas (rires). Je vais tenter d’en deviner le sens… L’avantage des histoires courtes, c’est que je n’ai pas besoin de prendre trois tonnes de notes, comme pour un roman, je garde les choses en mémoire. En général, je commence par prendre une grande inspiration, puis à me mettre en condition. Quand j’écris, je suis dans l’histoire, je ressens ce que ressentent chacun des protagonistes. C’est une véritable forme d’évasion pour moi.
Comme l’écriture n’est pas mon métier, et que mon métier me prenait plus de cent-cinquante pour cent de mon temps, à l’époque de Recueil n°1 par exemple, je ne pouvais pas y passer plus d’une ou deux heures par nuit, généralement entre minuit et deux heures du matin. Je ressortais de chacune de ces sessions épuisé mais, paradoxalement, avec mes batteries rechargées.
Il me fallait parfois mettre un peu de musique, en fonction de l’ambiance recherchée. La musique est quelque chose de magique chez moi, car elle m’emplit la tête et chamboule tout mon être. L’état d’esprit dans lequel je suis au moment de l’écriture semble être palpable à la lecture des textes, de ce que j’ai pu avoir comme retours des lectrices et lecteurs. Je parle de musique dans plusieurs de mes histoires, d’ailleurs, dans Entropiae.
Pour Aux Origines, cela a été plus facile et moins long car j’étais moins chargé de travail et ma fille a grandi, elle demande moins d’attention. Par ailleurs, elle est très fière d’avoir un père qui écrit alors elle me laisse plus de temps. Elle est aussi une source d’inspiration, je pense à l’histoire bonus de Entropiae bien entendu.
Je considère aussi que l’écriture – comme la lecture – est un moyen de s’échapper de sa petite vie. Je considère que tout le monde n’a qu’une « petite vie », je ne dis pas cela de façon négative mais sinon pourquoi chercherions-nous ailleurs ce que nous n’avons pas chez soi ?
Écrire, c’est pour moi une façon d’apporter quelque chose aux lectrices et aux lecteurs, apporter des messages auxquels je crois dur comme fer, et je me dois aussi de leur donner quelque chose de qualité. Je n’aurai pas la prétention de dire que j’y parviens, mais je fais tout pour avoir un langage le plus soutenu possible, avec moins que le minimum de fautes, et pas de grossièretés ! Il n’y a rien qui m’insupporte davantage qu’une histoire où l’on sent clairement qu’il n’y a pas eu un véritable travail de correction et où l’on ne côtoie que des gens grossiers. Je ne les citerai pas non plus, mais quand je vois que ce genre de livre a du succès, j’ai les poils qui se hérissent ! Comme ce sont des fictions, autant en profiter pour remonter le niveau, non ? (rires)
Vous avez fait le choix de l’auto-édition et vous avez même décidé de créer Humbird & Curlew pour obtenir un résultat professionnel. Avec le recul, referiez-vous le même choix ou tenteriez-vous votre chance auprès des maisons d’édition traditionnelles ?
Le choix de l’autoédition vient surtout de mes premières recherches d’un éditeur. Je suis resté littéralement « sur les fesses » en lisant les lignes éditoriales des grandes maisons d’édition. Sans les citer, mais c’est écrit noir sur blanc sur leur site, l’une ne publie plus que des best-sellers américains, l’autre ne publie plus que de la romance pour les nouveaux auteurs, etc. Il n’y a plus de place pour les nouveaux auteurs dans des styles a priori moins populaires. Les nouvelles n’ont pas l’air d’attirer beaucoup, pourtant je connais tout un tas de personnes qui ne lisent plus, faute de temps. Moi-même, je m’y suis remis voici quelques années grâce aux nouvelles, le seul format que je parvenais à suivre, à l’époque où j’étais workaholic.
Je n’avais pas non plus confiance dans la qualité de ce que j’écrivais, l’autoédition a ceci de bien que, si cela ne fonctionne pas, c’est à moindre coût pour l’auteur. J’ai par ailleurs découvert le plaisir infini qui consiste à réaliser un ouvrage de A à Z – en dehors de l’impression. Le travail sur la couverture est très important également puisque c’est la première chose que voit un potentiel lecteur.
Depuis, j’ai découvert qu’il y avait une multitude de maisons d’édition françaises, à taille humaine, avec chacune leurs caractéristiques. J’en ai contacté une voici quelque temps, qui m’a tout de suite proposé un contrat, j’ai également été approché par plusieurs autres… Alors, oui, pourquoi ne pas signer avec l’une d’elles un jour ? Mon gros point faible, c’est la promotion !
Je reste toutefois très attaché à Humbird & Curlew, qui n’est pas une marque d’édition réservée aux ouvrages littéraires, mais aussi aux objets artistiques, lithographies, etc.
Quels sont vos projets littéraires pour les mois et années à venir ?
J’ai commencé mon premier roman, voici deux semaines. C’est un projet qui me tient tout particulièrement à cœur car je l’avais commencé voici plus de … Punaise ! … plus de vingt-huit ans ! Je l’écrivais petit à petit, mais j’ai eu une jeunesse jalonnée de déménagements et l’un d’eux lui fut fatal puisque je l’ai perdu.
Il est resté dans un coin de ma tête, bien au chaud, je l’adaptais en fonction des événements, des films ou des ouvrages publiés entretemps. Je peux le dire à présent car j’en ai changé la structure, mais la première version se déroulait dans un ordre inversement chronologique. Je trouvais le procédé original à ce moment-là. Pas mal d’années plus tard, je me suis retrouvé devant le film « Memento », qui utilisait également ce procédé. Je me voyais déjà tout réécrire pour ne pas donner l’impression d’avoir copié. La perte du manuscrit m’aura permis de tout remettre à plat.
En dehors de ce roman, j’aimerais beaucoup écrire un recueil de poésies, chacune illustrée par un monotype de Red, l’illustratrice avec laquelle je travaille et qui fournit des résultats toujours de grande qualité et d’une sensibilité rare.
J’aimerais également aider de jeunes auteurs au travers d’Humbird & Curlew.
J’en suis là pour le moment.
Je tiens à remercier chaleureusement Edouard B. W. d’avoir pris le temps de répondre aussi précisément à mes questions.
Si vous souhaitez, à votre tour, lire Entropiae, vous pouvez retrouver le recueil sur Amazon, la Fnac, Kobo, Kindle et Liberi. Vous pouvez également suivre les actualités d’Edouard B. W. sur son site internet et ses réseaux sociaux : Facebook + Twitter. Enfin, venez découvrir et soutenir les projets portés par Humbird & Curlew en visitant leur site internet !
La source est ici.
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